Comment convaincre sans la puissance des émotions ? On constate trop souvent que le contenu émotionnel des messages des managers est en parfaite dissonance avec leur discours. Dès lors, il est peu aisé pour un manager d’être crédible, de fédérer et de faire preuve de leadership. Ce n’est pas une fatalité puisque l’apprentissage par l’expression théâtrale démontre depuis bien longtemps, qu’il est possible de développer cette qualité à s’exprimer avec force et authenticité.
Le contenu émotionnel. Le rationnel d’un discours bien qu’important pour délivrer un message ne suffit pas à convaincre à lui seul. Encore faut-il être capable d’exprimer verbalement et physiquement une émotion en corrélation avec le contenu du message. « Quand mon chef nous a félicité pour le travail accompli au cours de l’année, il était tellement dépourvu d’émotion en le disant qu’on s’est dit qu’il l’exprimait, contraint et forcé », raconte dépité Jacques, assistant de gestion dans une compagnie d’assurance. Cette absence de cœur porte considérablement atteinte à l’authenticité du message qui perd toute crédibilité.
Nos observations nous amènent à faire le constat de deux types d’incapacité émotionnelles : celle qui tient d’une une incapacité à s’exprimer et celle qui tient de la volonté de ne pas s’exprimer.
Dans le premier cas, il s’agit de mettre en cohérence ce qu’un individu ressent et ce qu’il montre. Un training d’acteur suffira. Dans le second cas, le registre de l’émotionnel est rejeté en conscience. Dans ce cas le manager n’a que deux choix possibles : faire un autre métier ou apprendre à s’adapter sur le plan émotionnel et à sur-jouer dans l’intérêt du collectif et de son intérêt. Sur-jouer, afin d’exprimer une émotion comme le dépit ou la joie que le manager ne ressentirait pas.
Prenons l’exemple du théâtre : bon nombre d’acteurs jouent à contre-emploi, avec succès. Ce fut le cas de Josiane Balasko, une « emmerdeuse » qui crie sa rage au monde entier un soir de réveillon et qui campe un personnage à rebours de son image de rigolote, dans « La Femme rompue ». Mieux que cela encore, le contre-emploi permet à ces comédiens de s’agrandir en allant visiter des lieux émotionnels et cognitifs qu’ils n’auraient jamais découverts sans un rôle différent. Ils vont investiguer et habiter le monde intérieur de l’autre pour mieux le comprendre et le gérer. Un contre-emploi qui ne les empêche pas de donner du plaisir aux spectateurs, le but d’un comédien.
Il en va aussi de l’intérêt du manager à agir de la sorte, car comme l’exprime André Comte Sponville dans son « Traité des petites vertus », il espère que la courtoisie, esthétique des comportements, se transformera par la pratique chez l’homme en vertu, esthétique de l’âme. A force de sur jouer, on peut devenir ce que l’on dit. Il peut en être ainsi du manager qui à force d’exprimer des sentiments qu’il n’a pas, comme la compassion, pourra un jour devenir empathique.
C’est d’autant plus important que les managers sont les capitaines de cœur de l’entreprise. Ils ont la charge de donner envie à leurs équipes. Ils ne peuvent pas faire l’économie de cette posture. L’expression de cette intelligence émotionnelle ne s’arrête pas au simple discours mais vaut aux situations du réel. Par exemple, des collaborateurs soucieux, déçus ou en colère, attendent de leur manager qu’il se synchronise sur leur ressenti pour leur montrer sa compréhension. Par cette simple concordance émotionnelle qui consiste par exemple à dire, « je comprends votre déception et je la ressens », il leur prouve qu’il les écoute et les comprend, même s’il n’est pas d’accord avec eux. C’est à ce prix qu’il acquière une légitimité.
Malheureusement et trop souvent, les managers montrent leur incapacité à exprimer des émotions. Cela est d’autant plus vrai que l’on monte dans la hiérarchie d’une entreprise. Le théâtre apporte les qualités nécessaires pour rétablir cette capacité à s’exprimer pleinement ou à endosser un rôle qui n’est pas le sien.
Si sur-jouer peut soulever des problèmes de conscience pour quelques managers, il est possible de légitimer cette posture en s’appuyant sur ce que défendait Machiavel et, qui écrivait si un prince n’a pas besoin de dire la vérité, il a pour autant, besoin que son peuple croit en son discours.
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